vendredi 29 juillet 2011

Nouvelle : "Entre Deux Rives" (de Peter2011) [2010]

Lundi, 9h35. Sonnerie brutale et pourtant habituelle. Réveil. Non, je ne suis décidément pas du matin. Je me lève sans plus attendre ou ce sera le retard assuré.

9h40. Il est temps de partir. Je sors de mon immeuble. Il fait clair, déjà très clair. Je suis ébloui et me protège de la lumière éclatante. Je me dirige vers le lycée rapidement. C’est bon, je suis à l’heure. Me voici devant le portail. Des élèves. Beaucoup d’élèves. Discussions, révisions sans doute, livres ouverts et récitations mécaniques révèlent un travail de dernière minute.

Philosophie, ce doit être en C305 ou quelque chose comme cela. C’est parti pour une journée folle. Je sens que ce soir je vais pouvoir dormir... Ou non, je n’ai pas sommeil. Juste une terrible flemme. Je vois ma classe. Du moins les élèves de la classe. Professeur. Clé. Serrure, semblant de bonjour jovial. Il fait si jour. Chacun sa place. Il en reste une au fond. Le cours commence. Ils sortent leurs affaires de leur sac et prennent un air motivé. Dernières discussions et crissements soudains. La lumière intense se reflète plusieurs fois sans la salle mais cela n’a pas l’air de les gêner. Ils sont absorbés par le cours.

Je distingue des nombres écrits sur le tableau. Ils semblent être faits pour être manipulés. Dans ma tête je les assemble pour en trouver le lien logique. Le professeur nous introduit la notion d’infini. Quelle belle chose que de pouvoir visualiser les nombres ! Ceux-ci croissent tout en formant un huit. Impression étrange de déjà-vu.

L’élève interrogé, qui n’a visiblement rien compris, si l'on en croit le brouillard qui enfume sa tête, échange avec le professeur. J’arrive même à distinguer les idées qui vont et viennent de l’un à l’autre. C’est beau, une idée. Certains disent que les grandes idées font les grands Hommes. D’autres professent la réciproque. Pourquoi pas. Je suis complètement perdu dans ce monde là. La philo, ce n’est vraiment pas fait pour moi.

Nouvelle sonnerie. Plus clémente celle-ci, car elle est sensée pouvoir nous laisser nous reposer pendant quelques minutes avant la reprise.

Reprise. Noter ce qui est dit, c’est au-dessus de mes forces aujourd’hui. Les autres le font tout aussi bien. Tant mieux ! Je n’aurais qu’à écouter, et les autres, écrire.
Après avoir longuement été absorbés par leurs montres, ils referment leurs trousses en hâte; le professeur griffonne sur le sobre tableau vert quelques signes désordonnés à l’aide de craies blanches reflétant allégrement le feu incandescent de la lumière.

J’ai peine à croire que personne ne soit allé fermer les stores. D’habitude si insolents et revendicatifs, les autres se sont montrés coopératifs.

12h00. Les chaises râpent contre le sol et les autres se précipitent vers la sortie. Je les suis, même si je ne ressens aucune excitation à l’idée d’aller me restaurer. Je n’ai juste pas faim. Je les accompagne donc au self mais je ne prends rien. Pendant le repas, je suis une présence. Ecouter tout en mangeant; tout un spectacle !  Moi je regarde dehors. C’est pratique une fenêtre. Ca permet de séparer l’intérieur de l’extérieur. Ca fait rêver la liberté.

Le long et pénible rituel du "posage de plateaux" sur le tapis automatique, pour les nettoyer une nouvelle fois encore, est désormais terminé. Je sors du réfectoire dont les murs épais laissent percevoir de quelle manière l'éclat de notre étoile nous parvient. J'emprunte un des nombreux couloirs qui s'offrent à ma vue, et qui, par un jeu de clair-obscur, mettent en valeur la configuration caractéristique de cet ancien couvent. A droite. Ou, non, à gauche, c'est tout aussi bien finalement. Le bruit de mon déplacement semble très estompé, presque amorti. Cul-de-sac. Je retourne sur mes pas et je modifie mon itinéraire, de telle sorte que je prenne à droite cette fois ci. Je ne me suis jamais aventuré aussi loin dans le lycée. Expérience intéressante. J'essaie de repérer les lieux mais bizarrement je ne vois pas du tout où je me trouve par rapport aux autres bâtiments.

La poussière de craie, formant un brumeux mais fin nuage grisâtre, est transpercée par les rayons rectilignes de la lumière.

Ainsi donc j'erre. Je découvre. J'observe. Un petit escalier s'enfonce sur ma droite. Une salle de cours ici ? J'en doute fortement. Très fortement. Pourtant la curiosité l'emporte sur la réflexion. Et celle-ci laisse maintenant place à l'étonnement. Cet endroit est plus éclairé que n'importe quel autre endroit de la zone. Je passe la porte sans difficulté. Sons de trompette multicolores. Jazz sentimentaliste maîtrisé. Tempo, rythme et mélodies se conjuguent quasi-divinement. Qui est donc cet homme pour jouer ce mystérieux morceau sorti de nulle part ?

Interrompre cette musique délicieuse aurait été un crime contre le génie artistique. Pourtant, il m'intrigue. Tout en ayant l'air si jeune, il dégage une profonde énergie de paix et de sympathie. Ses grands yeux incrustés sous d'imposantes arcades fixent mon âme intensément. L'homme me regarde tout en continuant à jouer. Soudain, silence.

"Alors, qu'est ce qui t'amène ici ?"

"Je visite le lycée, en quelque sorte."

"Bien, très bien. Moi, le plus clair de mon temps, je le passe à l'obscurcir parce que la lumière me gêne."

"Qui êtes vous pour jouer aussi parfaitement bien de votre instrument ?"

"Merci, on me connaît sous le nom de Boris V. . Cependant, je ne pense pas avoir encore pu trouver la perfection. La musique n'aime pas la perfection. Trop de paramètres entrent en jeu pour qu'elle devienne universelle. Ceci dit, chaque musicien tente de faire valoir sa vision de la musique : on ne comprend pas une œuvre, on comprend l'homme qui l'a faite.

Sa voix posée m'hypnotise. Il me raconte ensuite comment les premiers hommes ont découvert l'usage de la musique, ses bienfaits et ses pouvoirs. Enchaînant ensuite sur la relation entre les mathématiques et celle-ci, il me montre que les règles sont divinement fixées, dans un but prédéterminé. C'est si intéressant que je reste posté là sans bouger, plongé dans mes pensées agrémentées de  nouvelles perspectives. Son discours me semble vrai. Simplement vrai. Ce moment devient une éternité.

Sonnerie discordante. Il est l'heure.

"Les cours reprennent, je dois vous laisser."

"Amuse toi surtout. Regarde-les s'exténuer sur leurs copies. Je suis sûr que ce spectacle te plaira."

14h05. Cohue devant les salles de classe. Ce petit monde s'agite tout comme les abeilles dans leur ruche. C'est fascinant de voir à quel point certains comportements humains sont calqués sur ceux des animaux grégaires.

Je me dirige maintenant vers le bâtiment scientifique. Salle de physique. La séance doit être expérimentale, et porter sur les phénomènes optiques. Le but est sans doute de faire comprendre que nos sens ne peuvent pas rendre compte de la lumière elle-même; seule sa réflexion sur un quelconque objet permet la perception. En somme, la lumière seule est imperceptible.

Ainsi, la seconde sonnerie se fit entendre. Début donc du cours, bruits de chaises, de trousses et bavardages intempestifs marquant l'installation et la prise de ses marques dans ce nouveau lieu. Mais, surprise. Le professeur, manifestement non enthousiasmé par la présente météo, pourtant propice à ce genre d'expérience, décide de modifier son organisation. Sourire sarcastique faisant trembler d'effroi mais aussi paradoxalement de rage les moins studieux : "pas de TP aujourd'hui, sortez une feuille". Ces doux mots résonnaient en moi comme une libération. Les heures de contrôle passent plus vite, c'est bien connu.

Motivation haletante. Je cherche à attraper mon sac pour en sortir le matériel adéquat. Cependant, par un phénomène qui m'échappe, je ne le remarque pas. Un oubli ? Improbable. Absurde. Incohérent avec le contexte. Je m'inquiète de cette fâcheuse situation et je demande à haute voix de quoi écrire. Le professeur lève la tête, me regarde, puis finalement se remet à corriger ses dernières copies. Les autres ne bronchent pas. Faussement concentrés sur leurs devoirs, ils font mine de ne rien entendre. Crissement des plumes sur les feuilles. Je ris puis finis par sortir de la salle.

Me voilà encore à déambuler dans ces maudits couloirs ! Je croise des connaissances, et les salue comme à l'accoutumée. Mais rien. Rien en retour. Quelle journée. Vraiment, vraiment pas mon jour.

Je cherche mon reflet sur une de ces hautes fenêtres pour me recoiffer. L'extérieur. Je distingue une des deux cours au centre du couvent. Elle est bordée d'herbe verte. Pourtant, je ne me vois pas. Quoiqu'à y regarder de plus près, en m'approchant à quelques centimètres de la vitre, une sorte de nuage, indescriptible au premier abord, comme mouvant, fit son apparition. Que m'arrive-t-il ?

Panique. Stress intense. Je ne rêve pas. Je sais que je ne rêve pas. Le rêve le plus réel que j'ai pu faire n'a rien de comparable à mon état actuel de conscience. Mais si je suis pleinement éveillé... Suis-je devenu fou ? Victime d'hallucinations ? Je ne suis même plus capable d'interagir avec mon environnement. Libre, mais en même temps prisonnier. Pourquoi tout ceci ? Aucune pensée rationnelle ne me vient à l'esprit. Un moment de relaxation me ferait le plus grand bien. Je retourne voir le mystérieux Boris V. .

La salle semble s'illuminer de l'intérieur. L'homme sourit et me regarde.

"Alors, ça fait quoi de traverser les murs ?"

Je reste ébahi et ne sais plus que dire. Il se trouve apparemment dans la même situation.

"C'est... bizarre."

"Bizarre ? Je dirais fabuleux ! As-tu remarqué que la moindre de tes pensées te fait instantanément franchir n’importe quel obstacle matériel ? Je reconnais cependant que la première fois est spectaculaire pour un esprit non préparé."

"Je désire seulement comprendre ce qui m'arrive."

"Je sais. C'est normal. Mais je sais aussi que dans ton for intérieur tu n'as seulement pas voulu accepter la vérité."

"La vérité ? Quelle vérité ?"

"Tu n'es plus de ce monde, petit. Tu t'apprêtes à quitter cette dimension. Je dois te montrer tellement de choses magnifiques encore. Dis au revoir à cette bonne vieille terre et à ton environnement actuel. C'est l'heure, réjouis-toi, nous nous élevons."

Sonnerie brutale et pourtant habituelle. Réveil. Je me lève sans plus attendre, afin d'arriver à l'heure à mon cher lycée Hoche.

* * *
Merci de ne pas copier cette nouvelle en partie ou en intégralité sans mon autorisation.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire